Cameroun Société (Africapostnews) – Alors que le Cameroun se prépare peu à peu à ses prochaines élections présidentielles prévues pour 2018, il fait face à une crise qui perdure depuis un an dénommée « la crise anglophone ». En effet, les populations de la région Ouest du Cameroun dite anglophone, constituée principalement des deux villes Bamenda (Nord-Ouest) et Buea (Sud-Ouest), sont aujourd’hui au cœur d’un conflit qui les oppose au gouvernement de Paul Biya. Ce gouvernement semble toujours aussi impassible face aux revendications de ses citoyens anglophones et ne semble avoir pour seule réponse la violence qui s’intensifie chaque jour. Remontons succinctement l’histoire de cette région de l’Afrique Centrale pour essayer de comprendre la genèse de ce conflit.
Bientôt un an que le « problème » anglophone du Cameroun persiste. En réalité, cette crise était prévisible dès l’accession à l’indépendance du Cameroun le 1er Janvier 1960. Il faut rappeler qu’à la base, lorsque les colons quittent le territoire camerounais, il existe deux régions bien distinctes. Une région qui était régie par les français, un autre par les britanniques. L’ONU étant sous administration française durant l’indépendance, il est logique que le Cameroun se soit retrouvé en majorité régi par des standards administratifs français marginalisant ainsi ses concitoyens issus de la partie anglophone.
Un an après l’indépendance, en Octobre 1961, la République du Cameroun devient la République fédérale du Cameroun lorsque la partie britannique rejoint la partie française. Les anglophones rejoignent ce jour leurs pairs francophones sous un même pays, un même drapeau mais avec deux étoiles pour ainsi marquer le fait que le pays soit constitué de deux états.
En Mai 1972, la République fédérale devient la République Unie suite à un référendum organisé par le président de l’époque Ahmadou Ahidjo. L’enjeu de ce référendum était la sortie du Cameroun du système fédéral qui consistait à l’auto gestion de chaque région sous sa propre administration. Le « oui » étant majoritaire, les deux états fédérés disparaissent au profit d’un seul état unitaire appelé désormais la République Unie du Cameroun.
Le symbole le plus marquant de cette unification reste la modification du drapeau national qui change et dont les deux étoiles d’or situés sur la bande verte disparaissent pour laisser place au drapeau actuel avec une seule étoile sur la bande rouge, symbole de l’unification. Le 20 Mai est désormais choisie comme date pour célébrer la fête nationale encore appelée fête de l’unité. C’est alors qu’en Février 1984, l’actuel président du Cameroun Paul Biya abolit l’appellation République « unie » pour laisser place à la République du Cameroun.
Cette unification de deux régions d’un seul et même pays est devenue au fil des années un des sujets sensibles de la politique au Cameroun car qui dit unification dit uniformisation, homogénéisation, standardisation. Or ceci ne peut se faire sans effacer et occulter les différences et spécificités des sous-ensembles pour constituer le grand ensemble, en l’occurrence le Cameroun.
Il n’est donc pas étonnant qu’un des sous ensemble, ici la partie ouest et anglophone du pays, finisse par se sentir lésée, brimée, rabaissée, humiliée au fil du temps. Ceci est d’autant plus frustrant qu’avant d’être considérés comme étant des anglophones, ces citoyens sont d’abord camerounais. Ce ne sont pas des anglais naturalisés camerounais. Ce sont bien des camerounais d’origines issus des ethnies autochtones établies sur place avant l’arrivée des colons. Dans la région de Bamenda par exemple, on retrouve les Makons, les Mbatu, les Mendankwe. Le nom Bamenda signifie d’ailleurs « le peuple de Menda ». Cette région qui a d’abord subi la domination britannique imposée par les colons se retrouve à nouveau dominée. Cette domination est rejetée de façon plus virulente car elle vient cette fois ci de l’intérieur. Le projet politique d’unification et de fédération du Cameroun s’est peu à peu transformé en véritable fiasco.
Mais peut-on véritablement parler de fédération quand une partie de la population a l’impression de ne pas appartenir à la Nation ? Peut-on parler d’unité nationale lorsque certains citoyens sont traités comme des citoyens de seconde zone ? Peut-on parler d’un seul pays lorsque le gouvernement annihile toute une partie de la population ?
L’histoire étant un éternel recommencement, ce conflit nous rappelle les prémices du génocide rwandais. A la base, les Hutus et les Tutsis constituaient un seul et même peuple qui parlait la même langue et avait en commun les croyances, la culture, l’histoire etc. Ce sont les Allemands puis les Belges qui ont érigé les Tutsis comme étant les Rwandais d’intelligence supérieure devant les Hutus qui eux étaient considérés comme des Rwandais de seconde catégorie. Lorsque les colons se retirent finalement du Rwanda, les Hutus procèdent à une chasse sans précédent pour venger toutes ses années d’injustice incombées aux Tutsis.
Il fait également écho au conflit du Soudan qui à la base était dirigé au Nord par les égyptiens et au Sud par les britanniques. A l’approche de l’accession du pays à l’indépendance, le Soudan connait de graves conflits internes dus à la mauvaise gestion de la coalition administrative postindépendance entre les régions nord et sud dirigées respectivement par l’Egypte et le Royaume-Uni. Les populations du Sud, catholiques, se voient imposer l’arabe comme langue en conséquence de la domination égyptienne.
Des postes à responsabilité sont désormais attribués aux populations du Nord au détriment de celles du Sud, ce qui est vécu comme une injustice et qui va donc mettre le feu aux poudres. Le Soudan du Sud réclame donc une autonomie qui lui sera refusée contrairement à ce qui avait été conclu avant l’indépendance.
Tous ces conflits sont toujours liés aux suites de la colonisation en amont du partage de l’Afrique entre les différents pays colonisateurs sans tenir compte de l’équilibre de base qui régulait les frontières entre les peuples autochtones. D’aucuns pourraient penser que ce problème est purement africain sinon africain ce qui n’est pas le cas. C’est exactement ce qui se passe actuellement en Espagne où le gouvernement catalan réclame depuis des années leur indépendance face au gouvernement espagnol. Ils sont d’ailleurs actuellement en pleine rédaction d’une déclaration d’indépendance. Il en est de même pour les mouvements indépendantistes corses, wallons, basques etc. Tous les peuples ressentant le besoin de se sentir exister à l’échelle des Nations, les populations de Buea et de Bamenda ne sont donc pas des exceptions.
La date du 1er Octobre reste une date fatidique dans l’histoire du Cameroun. En effet, 56 ans après l’unification des deux régions, de violents heurts ont éclaté dans les régions Ouest du pays notamment à Buea et Bamenda. Ce jour a été choisi par les sécessionnistes de la région anglophone pour proclamer l’indépendance de la République d’Ambazonie, dénomination attribué par les indépendantistes.
La crise actuelle mais latente a commencé en Novembre 2016 lorsque les enseignants et les avocats ont entamé une grève dénonçant une francophonisation du système éducatif anglo-saxon du Cameroun. Par exemple, les enseignants exigeaient que le baccalauréat et le probatoire soit purement retirés du système anglophone. Ils dénonçaient aussi le fait que des enseignants francophones soient affectés dans une région d’abord anglophone. Les avocats, quant à eux, dénonçaient l’application du code civil français au détriment du Common Law, système judiciaire légué par les colons britanniques.
La réponse du gouvernement camerounais est passée de l’indifférence à la violence sans transition. Les figures marquantes des revendications ont été brutalement réprimées et emprisonnées. On compte une dizaine de morts lors des contestations de rues et plusieurs blessés. Le gouvernement a qualifié ses mouvements de grogne comme des mouvements extrémistes et séparatistes qui visent à déstabiliser l’unité et la paix du Cameroun.
Puis vint le fameux #BringBackOurInternet. Après la réponse physique et violente du gouvernement, la réponse numérique ne s’est pas fait attendre. Prenant exemple sur les pays voisins notamment le Gabon pendant la période post-électorale, le gouvernement a tout simplement coupé le réseau Internet de la région anglophone du pays pendant 3 mois. La raison évoquée par le pouvoir en place fut l’arrêt de la diffusion de fausses informations visant à déstabiliser davantage le pays. Entre les opérations hebdomadaires de ville morte, la coupure Internet, l’arrêt des cours, l’économie régionale a pris un sacré coup baissant l’activité jusqu’à environ 70%.
L’atonie du pouvoir central de Yaoundé, l’usage excessif de la violence comme seul réponse à la crise n’a fait qu’enliser et radicaliser une partie des populations de Bamenda et Buea qui réclament désormais le retour au fédéralisme sinon l’indépendance franche de la partie ouest du Cameroun.
C’est ainsi que ce 1er Octobre 2017, suite à l’agenda indépendantiste des leaders de la contestation, le Cameroun entier a retenu son souffle pendant ce qui semblait être une provocation de plus selon le gouvernement en place. La région ouest était alors en état de siège : couvre-feu, fermeture des frontières, barrages omniprésents, déploiement d’un important dispositif de sécurité, tels étaient les mesures mises en place pour étouffer une fois de plus les revendications régionales. Vers 10h, les premiers tirs retentissent. On parle alors d’un bilan d’une dizaine de morts. La contestation n’est donc pas prête de finir avec le nombre de disparus qui ne cessent d’augmenter. Il est de plus en plus urgent, à la veille des élections présidentielles, que le gouvernement en place change de stratégie et tende enfin la main pour essayer de trouver des accords de paix. Ceci pour apaiser durablement une crise qui dure depuis bientôt trop longtemps.
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